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Le bâti rural de Lot-et-Garonne
Un paysage habité
Que l’on circule le long des chemins, à pied, en vélo, à cheval ou bien en voiture sur le réseau communal, départemental et même national, le constat est que dans tous les paysages parcourus du département, notre regard croise des fermes, implantées à l’écart des villages, au milieu des terres exploitées. Cette question de l’implantation joue un grand rôle dans la perception. Dans une économie des bonnes terres, dans la prise en compte des ressources en eau, et l’intelligence des microclimats ou des risques, les fermes se sont implantées avec précaution dans les paysages. Cette attention qui n’avait rien d’esthétique a néanmoins façonné des motifs paysagers de grande qualité. Ce bâti rural, avec ces compositions aléatoires de différents volumes qui constituent le siège d’exploitation, est souvent bien visible, quelquefois fois même plusieurs centaines de mètres à la ronde. L’impression qui domine est qu’il fait corps avec le paysage qui l’environne.
Plusieurs paramètres se conjuguent pour donner cette impression. En premier lieu c’est la parfaite adaptation à la topographie du lieu. Traditionnellement, les constructions s’inscrivent dans la pente « s’emboîtent » dans le terrain, qu’il s’agisse de microreliefs comme un rebord de terrasse ou de pentes plus marquées. Cette adaptation très fine du bâti à la pente tient aux moyens limités de terrassement. Depuis 50 ans, la priorité s’est inversée le terrain est adapté à la construction.
En second lieu, c’est la qualité et la nature des matériaux de construction qui souvent sont « mimétiques » par rapport au paysage alentour. Les matériaux sont extraits ou fabriqués à proximité, à partir de matières premières locales.
Un autre paramètre tient à la présence fréquente d’un ou de quelques arbres d’ombrage qui assurent une sorte de relais visuel avec les boisements alentour, boisements sur versant ou ripisylve.
L’expression d’une diversité
« La maison ne s’est pas formée sur place, par une lente adaptation aux conditions locales ; elle est née ailleurs, parfois loin. Plusieurs types se partagent le territoire (…), non pas en domaines bien séparés mais en zones enchevêtrées ; le plus souvent, la maison est faite d’un assemblage de formes aux origines différentes… ». C’est ainsi que Pierre Deffontaines introduit son paragraphe sur la recherche de type d’habitations. Cette introduction est d’ailleurs reprise par le Docteur A Cayla dans son chapitre sur l’habitation paysanne de Lot-et-Garonne.
Pierre Deffontaines distingue plusieurs types d’habitation : la maison à grange centrale de type basque, la maison à grange-étable de type limousin, la maison en hauteur, la maison à logement central du Bas-Quercy, (peu représentée dans le Lot-et-Garonne) qui comprend une sous-catégorie la maison à longueur de type languedocien (plus fréquente) et l’échoppe bordelaise. Il décrit les modifications et les mélanges de ces différents types qui donnent naissance à d’autres configurations.
Ces différentes formes de bâti sont liées notamment à la production agricole. La maison à grange centrale de type basque est essentiellement une grange à foin. C’est une architecture de toit tandis que la maison à grange-étable est une architecture de murs : volume rectangulaire étiré recoupé par des murs de refends partageant l’habitation, de l’étable et de la grange.
Du côté du Quercy, explique Pierre Deffontaines, la maison prend de la hauteur. Bétail et foin cèdent le pas au blé, au vin et aux moutons, la grange disparaît. Le bétail est au rez-de-chaussée avec le cellier et le logement passe à l’étage. Le CAUE, dans son ouvrage, Réhabiliter le bâti de caractère en Lot-et-Garonne, édité en 2007, a repris cette analyse et la dénomination des différentes typologies. Le travail est approfondi, chaque type d’architecture rurale est renseigné par un croquis, un plan mais également par ses caractéristiques chromatiques, c’est-à-dire la couleur des façades et des menuiseries. Mais si ces travaux posent des repères, aujourd’hui, il est difficile d’être plus précis, parce que, d’une part l’activité agricole a évolué, d’autre part parce que ce bâti agricole est souvent implanté à l’écart et que pour en distinguer toutes les nuances, il faut rentrer dans les propriétés.
Dans le contexte de l’atlas des paysages, nous restons attachés à la perception de ces architectures dans le paysage, à partir de l’espace public, davantage qu’à leur dimension proprement architecturale. Néanmoins nous renvoyons à la base Mérimée du ministère de la Culture alimentée par les travaux de recensement conduits par le Service Régional de l’Inventaire, qui, dans les secteurs étudiés (vallées du Lot, de la Baïse et de la Garonne), fait mention pour chaque commune de nombreuses fermes ( 60 à Laparade, 78 à Clairac par exemple) dont les époques de construction peuvent s’échelonner du XVI ème au XIX ème siècle. En réalité, qui prend conscience de cette épaisseur patrimoniale du bâti rural, quand il découvre au cours de ses trajets, ces ensembles bâtis souvent pittoresques, et charmants, quelquefois dénaturés ?
La typologie proposée par la Base Mérimée, valable sur tout le territoire français, distingue 4 types : le logis indépendant, la ferme en corps de bâtiment unique, la ferme indépendante en plusieurs corps de bâtiments et la ferme en plusieurs corps de logis associés par des parties communes, le 5 ème type correspondant au bâtiment « hors typologie ». Dans la vallée du Lot, c’est le logis indépendant qui semble nettement le plus représenté. (cf base Mérimée)
Tous les matériaux sont employés
A la diversité des volumes, s’ajoute une grande variété de matériaux. Comme le mentionne Hélène Mousset dans son article du Festin, « pour bâtir en Agenais les matériaux de construction ne manquaient pas. » Le sous-sol calcaire a fourni des mœllons et des pierres de taille. Dans le nord-est du département au contact du Lot ou de la Dordogne, la pierre vient même en toiture, sous forme de grandes dalles délitées (des lauzes) que l’on retrouve encore sur des édifices protégés ou sur de petits édicules, comme à Saint-Avit par exemple, à Lacapelle-Biron ou au niveau du coyau de toitures à la Mansart (maison à Bonaguil).
Les galets des vallées, surtout en Garonne, ont servi à bâtir des murs, quelquefois intercalés avec des assises de briques plates. Plus généralement les galets ont servi à créer des sols, sous forme de calades, pour guider les fils d’eau à distance des façades. Limons et argiles ont permis de fabriquer des tuiles plates ou creuses, des briques ou de bâtir des murs en terre crue, du torchis, du pisé. Le bois a servi à construire des ossatures, pour des maisons à pans de bois, des granges, des hangars, et a servi aux bardages des séchoirs ou des granges. Il existe même des maisons à empilage (construction par empilage de poutres en bois qui recevaient un enduit ; constructions du XVI ème siècle datées par dendrochronologie) dont il reste quelques exemplaires en Lot-et-Garonne. Ces différents matériaux peuvent être combinés sur un bâtiment ou bien voisiner d’un bâtiment à l’autre.
La caractéristique des grands volumes
Dans la plupart des unités paysagères, se rencontrent de très grands volumes de granges que leurs toitures révèlent dans le paysage. Souvent ces grands volumes restent discrets, pour les deux raisons déjà évoquées, une très fine adaptation au relief et des matériaux de construction issus de matières premières locales. Il existe d’autres grands volumes, ce sont les séchoirs à tabac ; A la différence des granges, ils ne sont pas tapis dans les modelés naturels, mais semblent campés dans les vallées. Ils présentent des volumes standard : bâtiment plus haut que large, toiture à deux pans, avec des façades composées de bardages bois, dont les longues ouvertures étroites, ne deviennent visibles que quand les ventelles sont inclinées pour permettre la ventilation. Les séchoirs sont progressivement désaffectés de leur usage principal mais certains sont transformés avec succès en habitation.
Les silos constituent une autre catégorie de grands volumes agricoles. Ce ne sont pas des constructions qualitatives mais leur lien intrinsèque avec le paysage justifie leur présence et contribue à leur acceptation. Néanmoins, comme tout bâtiment, le soin apporté à leur implantation reste prépondérant en matière d’intégration paysagère.
De nouveaux volumes voient le jour pour s’adapter à l’évolution des pratiques agricoles ou aux nouveaux marchés. Ces bâtiments à caractère industriel se ressemblent tous, ils ne présentent guère de qualité architecturale pourtant leur impact dans le paysage est très variable. Cet impact dépend principalement de l’implantation topographique, des terrassements autour du bâtiment, de la couleur du bardage et de l’accompagnement végétal, quatre paramètres sur lesquels il est facile de jouer sans dépense supplémentaire.
Une autre catégorie de grands volumes est constituée par les hangars à toiture photovoltaïque. En général, la couverture de teinte sombre s’intègre bien, mais comme pour les autres bâtiments, c’est l’implantation topographique qui reste déterminante.
Des bâtiments en sursis, des bâtiments transformés
A sillonner les paysages de Lot-et-Garonne, on découvre un certain nombre de bâtiments agricoles en ruine. Sans nul doute, leurs proportions ne correspondent plus aux usages actuels, les ouvertures sont trop petites et les hauteurs inadaptées. Mais il est toujours poignant de voir s’affaisser de grands pans de toitures, se dissoudre des murs en pisé ou s’effondrer des façades entières quand en parallèle, surgissent des maisons neuves ou des hangars sans qualité. Mais ce constat relève davantage d’une question de société que d’une question de propriétaires. A l’opposé de ce phénomène, le bâti rural peut aussi se transformer, en résidence secondaire ou en habitation principale. Quelquefois la restauration est tellement poussée que le bâti en perd son caractère, ou bien, les nouveaux habitants se coupent du paysage alentour, soustrayant à nos regards d’usagers de la route l’ancienne petite ferme implantée dans la pente. Malgré cela, la mutation du bâti agricole est toujours préférable à sa disparition, mais, ce choix relève d’une décision de la collectivité qui doit l’inscrire dans son document d’urbanisme.
Pour en savoir plus
***Ouvrages
Architecture paysanne de Guyenne et Gascogne – Dc A. Cayla -Eddibor1980
La Moyenne Garonne (Agenais-Bas-Quercy), Pierre Deffontaines, 1932, réédition 2000
Réhabiliter le bâti de caractère en Lot-et-Garonne - CAUE 47 - 2007
***Revues
Vieilles maisons françaises n° 199 En Agenais
Article : A la campagne le patrimoine rural, s’égrène ; auteur Hélène Mousset, conservateur du patrimoine au service régional de l’inventaire d’Aquitaine
Le Festin Hors-série : Le Lot-et-Garonne en 101 sites et monuments
***Fiche conseil
Restaurer des façades anciennes en Lot-et-Garonne CAUE 47
***Exemples de réalisation
Fondation du Patrimoine : exemples de projets de restauration en Lot-et-Garonne